Constitutionnalité de la Loi GODFRAIN… ou pas
|Loi GODFRAIN = loi de 2004 pour la confiance en l’économie numérique. Évoquer en détail cette diarrhée législative protéimorphe demanderait des plombes et pourrait déconnecter aussi sec un lecteur même déterminé. Pour autant, tout le monde en a plus ou moins entendu parler.
QPC = Question prioritaire de constitutionnalité. Introduite en droit français en 2010, elle permet dans le cadre d’un procès de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il statue sur la constitutionnalité de la loi.
Hiérarchie des normes
En effet, en France existe ce que les juristes appellent la hiérarchie des normes. Elle est au droit ce que le rocher est à la moule (manque d’inspiration évident – je laisse 0x0ff compléter par un exemple informatique – ce sera l’occasion de voir si un sens se dégage de tout ça !). Elle repose en partie sur le principe de séparation des pouvoirs (DJ Montes-Q).
Alors imaginons une pyramide de textes. Au sommet, il y a la Constitution, en dessous la Loi, et en dessous les actes de l’exécutif (par ordre très schématique de valeur, décret, arrêté interministériel, ministériel, préfectoral, municipal).
Chaque acte inférieur doit respecter les textes supérieurs. Pour le droit international et surtout le droit européen, je vous épargne des développements compliqués. Considérez qu’ils sont au-dessus de la loi (principe de primauté). Par rapport à la Constitution, ça se discute.
En tout cas, la Constitution domine l’énorme amas de textes qui réglemente les relations entre les personnes et l’Etat (droit public) et entre les personnes elles-mêmes (droit privé).
Auparavant, le Conseil constitutionnel – qui seul a compétence pour vérifier qu’une loi n’est pas contraire à la Constitution – pouvait seulement être saisi par un nombre minimum de députés avant l’adoption d’une loi. Seulement, il suffisait qu’un texte fasse l’objet d’un consensus fort – ou que nos représentants soient feignants – pour que le texte ne soit pas soumis au Conseil constitutionnel.
Anticonstitutionnellement, c’est un peu gênant
D’où l’existence de textes en vigueur ne respectant pas la Constitution. C’est un peu gênant. La Constitution intègre notamment dans son bloc la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la charte de l’environnement, le préambule de la Constitution de 1946, ainsi que indirectement des principes jurisprudentiels dégagés par le Conseil constitutionnel.
Gênant parce que le respect de la Constitution est le fondement théorique des régimes se prétendant « Etats de droit » ce qui signifie in fine que l’Etat respecte le droit qu’il (se) crée et que l’application d’icelui est parfaitement prévisible pour tout citoyen.
Pour remédier à ce manquement susceptible de passablement entacher les virginaux attributs d’une belle démocrature, une loi organique a introduit en 2010 un contrôle de constitutionnalité a posteriori pouvant être demandé dans le cadre d’un contentieux.
Imaginons, vous êtes poursuivi pour « accès frauduleux » sur le fondement de l’article 323-1. Vous pouvez soutenir que cet article est contraire à la Constitution dans le cadre d’une QPC qui sera transmise à la Cour de cassation qui, si elle estime le recours fondé, transmettra au Conseil constitutionnel.
Oxjection Votre Honneur
Cependant, 0xjection votre Honneur !, la Cour de cassation joue un rôle de filtre.
C’est elle en l’espèce, concernant la loi GODFRAIN, qui a estimé que l’incrimination prévue par l’article 323-3 du code pénal était assez précise et qu’à ce titre, ça ne valait pas le coup de transférer la question au Conseil constitutionnel. Un extrait de la décision (Crim. 10 avril 2013 n° 12-85618) :
“Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions de l’article 323-3 du code pénal qui sont rédigées en des termes généraux et imprécis quant au champ d’application de la loi pénale et à la définition du délit pénalement sanctionné, dans la mesure où ni le système protégé, ni les modalités de la fraude, ni la finalité de l’atteinte portée au système ne sont précisés, ni l’obligation qui s’impose aux usagers d’un système informatique clairement définie, portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, eu égard à l’obligation pour le législateur de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en des termes suffisamment clairs et précis ? » ;
Attendu que la question posée, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ;
Et attendu que la question posée ne présente pas, à l’évidence, un caractère sérieux dès lors que les termes de l’article 323-3 du code pénal sont suffisamment clairs et précis pour que son interprétation et sa sanction, qui entrent dans l’office du juge pénal, puissent se faire sans risque d’arbitraire ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel ;”
Cet article 323-3 dispose que « Le fait d’introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé ou de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu’il contient est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende. »
Avouez que ce n’est pas très clair. Le frauduleusement implique le désaccord du Maître du système. Cependant, Facebook ne refuse-t-il pas les faux profils ? Or la loi pénale est d’interprétation stricte. Elle ne doit pas laisser de place au doute concernant les cas de figure dans lesquels elle s’applique ce qui n’est de toute évidence pas le cas concernant cet article.
Pour l’occasion, je suis allé vérifier si la loi GODFRAIN avait fait l’objet du contrôle de constitutionnalité a priori lors de son adoption.
Cela a bien été le cas (décision 10 juin 2004)
Mais le recours n’avait pas trait aux infractions pénales informatiques des articles 323 et suivants. Cette loi a pourtant largement alourdi les sanctions applicables à ces infractions.
Pour information digressive, sur Slate.fr, il est précisé que la moyenne d’âge des membres du Conseil constitutionnel s’élève à 70 ans. Le passage de la TSF au tactile à cheval sur un mulot (un bon sujet de dessin pour 0x0ff) risque d’avoir laissé des séquelles.
Je m’interroge toutefois sur la position qu’aurait tenue la Cour de cassation si la QPC avait plutôt porté sur l’infraction prévue par l’article 323-3-1 du code pénal qui me semble encore moins précise :
« Le fait, sans motif légitime, d’importer, de détenir, d’offrir, de céder ou de mettre à disposition un équipement, un instrument, un programme informatique ou toute donnée conçus ou spécialement adaptés pour commettre une ou plusieurs des infractions prévues par les articles 323-1 à 323-3 est puni des peines prévues respectivement pour l’infraction elle-même ou pour l’infraction la plus sévèrement réprimée. »
Je vous laisse méditer ce texte. Une bonne inspiration…